Forum des 100 - 2023

GN

Gaspar Narby

Musicien

Le petit prince de l’électro suisse

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Originaire de Porrentruy (JU), le jeune musicien s’est expatrié à Londres il y a plusieurs années, où il développe un univers sonore mêlant beats et acoustique. Une mélancolie branchée qui fait mouche. Après Paris-Dakar, Pékin-Moscou ou Manhattan-Kaboul, voilà un axe encore jamais considéré: Porrentruy-Londres. C’est pourtant entre ces deux villes, que tout oppose, que s’est construit Gaspar Narby – né dans la commune ajoulote, établi depuis huit ans dans la capitale britannique. Avec la musique en guise de passeport, il a tracé sa route pour se muer aujourd’hui en petit prince, bilingue il va sans dire, de la planète électro-chill. Son espace à lui est constellé d’indices: un synthé dans un coin, un lecteur cassette rétro dans l’autre et à gauche du bureau, une flopée de guitares suspendues comme des chemises – on aperçoit un banjo et même une mandoline. Rentré la veille d’une résidence en Suisse, Gaspar, mèche décoiffée de mec branché sans même essayer, nous laisse guigner, via caméras interposées, dans son salon de Hoxton – ce quartier prisé des jeunes artistes «pas loin du centre culturel le Barbican». Un repaire de créatifs où il se sent comme un poisson dans l’eau, lui qui a grandi baigné de musique. A commencer par le piano, qu’il découvre à 6 ans sous l’impulsion d’une mère mélomane. Mais au solfège et aux gammes, Gaspar préfère l’exploration moins… académique. Au début des années 2000, son père collabore avec Franz Treichler, le leader des Young Gods, sur une série de conférences musicales. Le rockeur s’invite alors régulièrement à la maison. «Franz adorait apporter les instruments les plus bizarres de sa collection.» Un petit synthé, une pédale de guitare… Gaspar, 7 ans, s’en donne à cœur joie – pour des jams familiales endiablées. «Mon frère Arthur faisait du rap bruitiste par-dessus, mon autre frère Loïc de la batterie du genre intense… ce sont comme des graines qui ont germé.» La magie de la voix Ce plaisir du jeu et de l’écoute fleurira quelques années plus tard au sein d’un groupe de rock amateur, monté par son professeur de piano, le compositeur jurassien Jean-Pierre Robert. A midi, les collégiens se la jouent Linkin Park ou Green Day avec Gaspar Narby en guitariste pop-punk. Les reprises sont «chancelantes», se souvient-il dans un sourire, mais cette connexion musicale sera fondatrice. Et prendra tout son sens avec Didascalie, trio lancé à en 2012. Le nom est théâtreux, le répertoire folk acoustique, et le groupe se voit invité à se produire au marché de Porrentruy. «Finalement, ça a pas mal pris dans le Jura!» Fort de son petit succès, le groupe enregistre un album de reprises. C’est grâce aux recettes des ventes, honorables, que Gaspar, 15 ans, s’offre un ordinateur et une carte son. Sa chambre se fait home studio, dans lequel il entame ses explorations. «Au début, tu ne sais même pas quoi taper dans Google pour trouver le tutoriel qu’il te faut…!» Enregistrements, effets, sampling… Gaspar se crée des petites bulles à l’électro flottante. Petit à petit, lui qui se destinait à la philosophie, la psychologie ou pourquoi pas la science politique, trouve dans la musique son objet d’étude favori – et des rêves d’avenir. Il choisira la Goldsmith University, à Londres – qui compte parmi ses alumni un de ses héros, le producteur britannique James Blake. Le Jurassien vit l’arrivée dans la capitale comme une claque («les trois premiers jours, j’ai beaucoup pleuré»). Mais à mesure qu’il fait sa place dans cette métropole, où dominent alors la deep house ou la soul, au fil d’amitiés qui deviendront des collaborations musicales et vice-versa, son univers se précise. Une pop ambient infusée de beats élastiques et d’une douce mélancolie – «triste et ensoleillée», comme il dit, résolument dans l’air du temps. On pense à un Petit Biscuit version moelleux plus que clubbing, avec un fort ADN acoustique, qu’il s’agisse de cordes grattées ou d’une mélodie fredonnée. «La voix humaine me fascine: c’est comme si les oreilles avaient été développées juste pour l’entendre! Par-dessus tout, j’aime partir de sons naturels pour transformer les textures, les transposer dans un univers différent. J’arrive à donner beaucoup plus de sens à ces notes qui font trembler l’air.» La solidarité jurassienne Enchaînant les singles douillets et éthérés nés dans son salon, qui cumulent les streams (plus d’un million pour Home, son tout premier morceau), Gaspar Narby renoue avec ses racines folks pendant le hiatus pandémique – qui le verra recevoir un prix de soutien «spécial covid» de la Fondation jurassienne Anne et Robert Bloch (FARB). Certains titres de Magnet Letters, son premier EP solo sorti l’an dernier sur le petit label londonien Everybody’s, évoqueraient presque les ballades brumeuses d’un Sufjan Stevens. Pour tourner les clips de l’album, Gaspar Narby est retourné dans son Jura natal – où il a pu compter sur la solidarité locale. «En comptant les figurants, environ 80 personnes nous ont filé des coups de main. Certains nous ont prêté leur voiture, d’autres une piscine vide ou un cinéma, tout ça gratuitement. A Londres, tourner dans ce genre de décors m’aurait coûté 35 000 livres…. Il y a cette entraide dans le Jura, cette manière de faire que les choses se passent, que je trouve hyper inspirante.» Inspirante aussi, l’énergie créative de son coin de pays. «Aux yeux de beaucoup de gens, on est une région périphérique, où n’investissent pas forcément les grands labels, l'industrie musicale mainstream. Mais c’est justement l’occasion de développer des projets assez uniques. Mes amis jurassiens font des trucs fous!» C’est vrai qu’il y fait bon vivre, en Suisse – «Mon amoureuse, qui vient aussi du Jura, a dit un jour: «Le seul truc qui manque à Londres, c’est le Jura!» – mais Gaspar Narby a besoin du tumulte londonien pour être à l’équilibre. Tout comme ses élans acoustiques se nourrissent de volutes électroniques – ou du timbre soul de la Biennoise Caroline Alves dans leur récent duo Talk About. Un esprit résolument pendulaire, pour des sons qui flottent loin au-dessus des frontières. Profil 1996 Naissance à Porrentruy. 2015 Déménagement à Londres. 2017 Il publie son premier titre, «Home», qui accumule aujourd’hui 1,6 million de streams 2021 Il signe avec le label Everybody’s. 2022 Sortie de son premier EP solo, «Magnet Letters». Virginie Nussbaum
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