Forum des 100 - 2023

DB

Delphine Bachmann

Politicienne

«Je veux rester directe et franche»

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A 34 ans, Delphine Bachmann est une des plus jeunes conseillères d’Etat de Suisse. Elle est parvenue ce printemps à sauver le siège centriste au gouvernement genevois. Les murs du vaste bureau de Delphine Bachmann, situé à deux pas de la cathédrale Saint-Pierre, sont tout blancs. «Je n’ai pas encore eu le temps de choisir de tableaux, mais je travaille très bien quand même.» Eclat de rire. La nouvelle conseillère d’Etat est heureuse. Elle le répète à plusieurs reprises: «J’ai du plaisir», tout en rajoutant dans la même phrase: «Mais c’est une immense responsabilité». Rien sur les murs, mais sur son bureau une photo de son grand-père Guy Fontanet qui a été conseiller d’Etat genevois entre 1973 et 1985. «Je pense souvent à lui, c’était un vrai homme d’Etat, courageux.» Elle quitte la grande table ovale où s’assoient ses hôtes et revient avec des dessins très colorés. «Mes enfants sont très productifs en décoration», sourit-elle. La porte de son bureau reste toujours ouverte. «Je veux demeurer accessible, je dis aussi aux gens qui m’interpellent qu’ils peuvent m’écrire.» Enthousiaste et spontanée, ne risque-t-elle pas de recourir très rapidement à la langue de bois si chère à de nombreux politiciens? «Non, je veux rester directe et franche, tout en étant diplomate.» Ce bureau en pleine Vieille-Ville est son fief depuis le mois de juin, même si elle le quitte régulièrement pour enfourcher son vélo et aller sur le terrain rencontrer les entrepreneurs, les partenaires sociaux. Elle rêvait du Conseil d'Etat Vive, dynamique et directe, la centriste ne semble pas atteinte par le poids de la fonction. La fatigue non plus, même si elle dit être sur le pont tôt le matin et tard le soir. «J’ai signé pour une telle fonction, ce n’est pas un fardeau.» Ce rôle de conseillère d’Etat, elle en rêvait. Elle s’était présentée une première fois en 2021 et avait été battue par Fabienne Fischer, dont elle occupe désormais le département. Forte pression La campagne de 2022 a été âpre. Les résultats du premier tour ne correspondaient pas aux attentes. Son parti, Le Centre, a choisi de faire une large alliance de droite au second tour. N’a-t-elle pas vendu son âme pour le prestige du Conseil d’Etat? «C’est vrai que la pression était forte pour garder le siège de mon parti. Mais nous avions toujours dit qu’il n’y aurait pas d’alliance au premier tour et que l’on verrait ensuite pour le second.» Elue fin avril, elle a commencé son nouveau job en juin. Quelle a été sa plus grande surprise? «Après la période électorale avec beaucoup de tensions, j’ai vraiment du plaisir à exercer cette fonction. Bien sûr, j’avais une part d’appréhension car la responsabilité est forte, mais tant au sein de mon département qu’avec mes collègues du gouvernement, tout se passe bien… Je suis déçue en bien.» Et les lenteurs administratives ne l’agacent-elles pas? Une légère moue parcourt son visage. «Si c’est pour un juste motif, cela va. Si elles sont injustifiées, cela m’agace.» Mère de deux jeunes enfants, comment arrive-t-elle à tout mener de front? «Comme conseillère d’Etat, on ne s’arrête jamais, on doit toujours être joignable. C’est vrai que la gestion de l’agenda familial devient complexe.» Mais elle a ses secrets pour se ressourcer: courir tôt le matin ou passer le week-end dans le mayen familial en Valais. Cette hyperactive avait, durant la campagne de ce printemps, affirmé au Temps qu’elle travaillait à calmer ses ardeurs: «J’ai appris à me forger des certitudes moins vite. Désormais, avant chaque décision importante, j’effectue 10 km de course à pied ou 2 km de nage.» Pratique-t-elle encore cette méthode comme ministre? Elle rit: «Je nage et je cours toujours, ça permet de réfléchir sur les dossiers en cours, mais plus tôt qu’avant.» Et de poursuivre: «Humblement, je reconnais volontiers qu’il y a aussi des moments difficiles et il m’est arrivé de pleurer, de douter et de me remettre en question.» Avec franchise, elle aborde aussi la question de l’exemplarité permanente exigée des élus. «C’est dur et je me demande si cette exigence ne va pas décourager des vocations.» Delphine Bachmann est donc à la tête du Département de l’économie et de l’emploi, considéré comme plutôt léger. N’espérait-elle pas mieux? Là encore, elle a le sens de la réplique. «Ce n’est pas la taille qui fait l’intérêt d’un département, mais ses thématiques.» Les questions de main-d’œuvre, d’innovation ou de conditions-cadres pour les entreprises l’intéressent tout particulièrement. Concernant l’employabilité, elle insiste sur la valorisation de l’apprentissage, l’importance de se former tout au long de sa vie professionnelle et la nécessité de mettre en place des filières de reconversion dans les secteurs à pénurie pour les personnes en recherche d’emploi. «Une vista» Ces questions de formation sont bien sûr débattues sur le plan national et elle a des idées qu’elle espère faire entendre auprès des autres cantons et de la Confédération, comme la possibilité d’organiser deux rentrées par année pour l’apprentissage en cas de reconversion professionnelle. «Le système actuel est trop rigide, il faut l’assouplir.» Sur le pas de la porte, elle se remémore août 2020. C’était encore la période des masques et des distances sociales. Cet été-là, Le Temps avait fait se rencontrer des politiciens aguerris et d’autres en devenir, mais appartenant au même parti. Delphine Bachmann s’était retrouvée face à l’ancien conseiller fédéral Joseph Deiss qui lui avait alors dit: «Vous avez montré de manière saine que vous aviez de l’ambition. Si on n’a pas soif, on ne fait rien… Il faut avoir de l’appétit, du sang-froid, une vista.» Le Fribourgeois avait encore prédit à la Genevoise qu’elle ferait une belle carrière. «Il m’a d’ailleurs écrit après mon élection.» Profil 1988 Naissance à Chêne-Bougeries. 2011 Adhère au PDC. 2015 Elue députée suppléante au Grand Conseil genevois, puis titulaire en 2017. 2020 Elue présidente du PDC genevois. 2023 Elue au gouvernement genevois, le 30 avril. Vincent Bourquin
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